Le Presque Parfait #1

Les orpailleurs

Tout commença sur une plaque en verre qui dévoilait les fondations romaines de la ville de Léon. C’est là qu’ est apparu, pour la première fois,  l’intérêt de mon fils pour les Romains. C ’est là aussi qu’est venue me chercher une phrase qui se transforma très vite en ritournelle.

                                                                                                       Vieillir c’est…

Nous commencions un voyage itinérant sur les routes de France et d’Espagne, en direction des Asturies. Je ne sais ce qui a réellement éveillé l’intérêt de mon fils de cinq ans pour les Romains mais c’est cela qui influença  nos choix de visites. Ma ritournelle venait souvent s’immiscer en moi.

Vieillir c’est mûrir, s’affirmer, s’ancrer, se perdre,  se trouver ou se retrouver, vieillir c’est quitter ce que l’on connait mais dans lequel on ne se reconnait plus, vieillir, c’est voir nos fragilités enfin comme des forces, vieillir c’est savoir qu’il faut faire les choses maintenant, parce que la même situation ne se reproduira plus,

Plus ces pensées sur le travail du temps étaient en moi, plus je constatais que je cherchais autre chose. C’était le processus de l’écriture qui était déjà en jeu.  Le rituel du Presque Parfait me l’avait déjà enseigné. Le mot tiré au sort chaque semaine m’emmenait toujours là où je ne m’y attendais pas.  Mais qu’est-ce que cette ritournelle avait à me dire? Entre les châteaux de sable, les pages lues à l’ombre d’un rocher, les promenades en forêt, j’écoutais.

Vieillir c’est vivre une première fois comme un bain vivifiant dans une rivière glacée, vieillir, vieillir, c’est un privilège, vieillir c’est lutter contre la pluie et le beau temps, vieillir c’est perdre ses clés, ses dents mais plus son temps, c’est découvrir que nos impossibles d’hier sont des possibles d’aujourd’hui, vieillir c’est observer que nos souffrances peuvent rassurer certains, vieillir c’est comprendre l’héroïsme qu’il y a dans une vie banale, vieillir c’est chercher une présence à soi, à l’autre, c’est se retrouver avec les cadeaux qu’on a pu se faire, vieillir, c’est se demander ce qu’on a envie d’offrir, vieillir c’est observer la particularité de sa graphie disparaître pour ressembler à n’importe quelle écriture de vieux, vieillir c’est

A côté de cela, mon fils remplissait sa tête de souvenirs glanés chez les Romains. Nous avions découvert que la région que nous avions élue comme destination finale de notre voyage itinérant – les Asturies –  était la plus grande région aurifère d’Europe. Nous nous sommes donc inscrits pour un atelier de batée au musée de l’or.

Je ne connaissais ni l’instrument, ni la technique. En forme de chapeau chinois, la batée est un récipient peu profond qui permet de séparer les paillettes d’or du sable. Les particules les plus légères sont évacuées en premier et les matériaux les plus denses restent au fond du récipient.  La batée est l’outil de base de l’orpailleur, le chercheur d’or.

La guide nous avait donné rendez-vous en-dessous d’un Hórreos, une grange sur pilotis, un élément typique de l’architecture asturienne où se conservaient les céréales. Nous nous sommes tous installés à l’ombre de l’Hórreos, autour d’une large cuve d’eau. La guide avait fermé le musée et était venue nous rejoindre avec le matériel. Une dizaine de batées, du sable, des graviers et des pépites, disons plutôt des paillettes d’or. Nous avions la chance d’être des orpailleurs qui étaient certains de trouver de l’or. Elle nous expliqua la technique en nous montrant comment ne pas craindre de plonger la cuvette dans l’eau et comment la faire tourner pour évacuer le sable. La méthode était millénaire, nous ne pouvions pas nous tromper.

Alors qu’elle nous rassurait en nous disant que l’or était neuf fois plus lourd que l’eau et qu’il resterait bien en-dessous des graviers, elle cria «Lucas », en regardant un garçon de neuf ans partir en vélo de l’autre côté de la rivière.  « C’est mon fils », ajouta-t-elle. « Adiós, Mama ». Quelque chose dans cette guide me touchait. Sa spontanéité, sans doute. Mais il n’y avait pas que cela. Je crois que ce qui émanait de sa présence était ce qui se cachait derrière ma ritournelle obsédante.

Vieillir, c’est peut-être cela, c’est savoir exactement où et comment chercher son or.

Mon besoin de me sentir vivante.  C’était cela que venait révéler ma ritournelle. Retrouver les chemins de la vie dans le passage du temps. Savoir à nouveau ce que cela veut dire, vivre.